dimanche 25 mai 2014

Un séisme secoue en ce moment notre profession, et je tiens à m' en faire l'écho...Voici une lettre que j'ai envoyé à notre régime de retraite complémentaire, obligatoire, qui vient de changer les règles du jeu, passant sans concertations d'un système où l'on avait le choix entre 5 classes de cotisations, à un prélèvement de 8% de nos revenus ( les revenus pris en compte sont ceux avant les versements des cotisations de sécurité sociale)...


Monsieur le président ( j'ai un peu de mal à vous appeler cher confrère),

j'ai, comme tous les auteurs de bandes-dessinées, reçu votre courrier nous informant de la prochaine augmentation de notre cotisation;
il va falloir que je la savoure à sa juste valeur;
elle appelle d'ors et déjà 2 remarques, l'une sur la forme, l'autre sur le fond.
Sur la forme, votre lettre est insultante.
Faire passer cette augmentation obligatoire pour de la sollicitude à notre égard, clamer la main sur le coeur que vous vous souciez de nos vieux jours et que vous hypothéquez notre présent pour assurer notre futur, c'est malvenu.
Comme si vous ignoriiez que la majorité des auteurs de BD cotisent à la classe spéciale non par avarice ou imprévoyance, mais parce qu'ils ne peuvent débourser plus!
( si vous l'ignorez, c'est aussi grave: je suggère en ce cas au conseil d'administration dans son entier de mettre le pied dans la vraie vie et d'aller à la rencontre des personnes-nous- dont il est censé défendre les intérêts!!)
Sur le fond,le contenu de votre lettre est symptomatique de l'époque et de la société dans laquelle nous vivons: on privilégie non pas celui qui crée ou qui produit, mais celui qui sert d'intermédiaire; les grands éditeurs se portent fort bien, merci pour eux!
Finalement, par cette augmentation des cotisations, vous allez peut être réussir une seule chose: celle de nous fédérer.
Il serait temps!

Isabelle Dethan


Pour tous ceux qui ne sauraient pas de quoi je parle, je me suis permis de faire suivre la lettre ouverte d'Eric Wantiez, qui résume assez bien notre situation professionnelle ...

Lettre ouverte aux lecteurs...
24 mai 2014, 11:24
A partir du 1° janvier 2016, nos charges sociales vont augmenter d'une façon extrêmement importante, sans aucune amélioration de la couverture sociale. Être auteur ce sera laisser 23% de son revenu en charges sociales. Comme un salarié, en gros.

Mais l'auteur n'est pas "comme un salarié".

L'auteur n'a pas de congés payés, pas de droits au chômage, pas de tickets restaurants, pas de mutuelle. En échange de ses 23% il n'a qu'une couverture sociale minimum, une future pension de retraite dérisoire et une retraite complémentaire qui, de l'aveu même de la caisse qui gère ça, est en moyenne de 1500 € par an.

L'auteur paye le loyer, l'électricité, le chauffage, l'assurance, la femme de ménage de son lieu de travail. Il paye son ordi, son imprimante, son scanner, ses photocopies; son accès internet, son téléphone pro, ses stylos, ses pinceaux, son bureau, sa chaise, la machine à café et les bouquins pour la documentation. Heureusement, il pourra royalement déduire 10% pour frais professionnels sur sa feuille d'impôts...

L'auteur trouve lui même son "employeur". Pour cela, il monte à ses frais des dossiers de présentation qu'il envoie à ses éditeurs préférés, à ses frais toujours. Les projets dont personne ne voudra auront demandé des mois de travail sans aucune rémunération et finiront dans un tiroir oublié ou à la corbeille. Il est de plus sans cesse à la merci de l'arrêt de sa série sans même qu'on lui ait donné une chance de s'imposer auprès des lecteurs, à cause d'un changement de directeur de collection, ou de politique éditoriale, ou de je ne sais quoi d'autre.

L'auteur un tant soit peu reconnu court les festivals pour y faire des dédicaces. Sans aucune rémunération, là encore. On l'invite, bien sûr, on le nourrit, on le loge et on lui paye les frais de déplacements sur les festivals, mais il ne touche rien pour les heures passées à signer ses œuvres.

En BD ou en livre jeunesse où il y a la plupart du temps 2 auteurs, le scénariste et le dessinateur auxquels il faut parfois ajouter le coloriste, l'auteur touche entre 4 et 5% de droits d'auteurs.
C'est pas beaucoup ! Sur une BD à 15 €, ça fait entre 0,60 et 0,75 €. Enlevons les charges sociales, ça donne entre 0,49 et 0,61 €. Pour atteindre le montant d'un smic, il doit donc vendre entre 1.851 et 2.304 livres par mois... Sur l'année entre 22.212 et 27.648 livres.
Et bien sur, sur ce smic, restent à retirer tous les frais des paragraphes 2 et 3 de cet article...

Voilà... Voilà pourquoi nous avons peur de mourir. Voilà pourquoi nous sommes en colère.
Nous ne savons pas quoi faire.
S'unir et agir ? Oui, mais nous sommes si peu nombreux ! Qui nous entendra ?
Changer de métier ? Mais c'est que nous l'aimons, ce métier, suffisamment pour le faire depuis des années en ne gagnant pas grand chose.
Diversifier nos activités ? Mais c'est que nous en faisons, des heures et qu'à part en inventant la journée de 30 heures, ce n'est pas vraiment possible.

Alors vous, les lecteurs, aidez nous à survivre.
Parce les livres, ça nous fait vibrer, rêver, rire, pleurer...
Vivre quoi...